Vers une gouvernance agile du SI (Episode 2 / 3)

Cette série de trois articles consacrés à la gouvernance du SI vise à souligner l’importance d’une gouvernance des technologies et des données portée au plus haut niveau de l’entreprise, fonctionnant dans un modèle à la fois agile et adaptatif. Ces articles sont rédigés au travers d’une collaboration d’iQo avec Isabelle SIPMA, Manager de transition.

gouvernance si agile

Des pratiques agiles devenues incontournables

Des méthodes utilisées largement pour faciliter la transformation digitale

L’utilisation des méthodes agiles s’est développée dans les entreprises ces dernières années pour la transformation digitale, avec comme principales caractéristiques :

  • Un développement progressif par touches successives (en démarrant par exemple par le développement d’un site Internet) ;
  • Un périmètre fonctionnel couvrant les interactions avec les tiers (clients, partenaires externes …), difficiles à appréhender en termes de besoins, et porteuses d’enjeux de digitalisation ;
  • La superposition sur l’existant technique (le « legacy » porteur de contraintes et cher à adapter) de nouvelles applications, plutôt que l’adaptation d’applications existantes ;
  • L’utilisation de technologies (cloud …) et d’architectures (temps réel, APIs …) nouvelles.


Les enjeux de transformation auxquels doivent répondre ces méthodes sont les suivants :

  • Une amplification des exigences de « time to market » : la technologie devient un élément de différenciation concurrentiel, et délivrer rapidement des fonctionnalités est essentiel ;
  • Une difficulté à définir dès le départ de façon détaillée les fonctionnalités : pour des applications destinées à un grand nombre d’utilisateurs, souvent externes à l’entreprise, il n’est pas possible de rédiger du premier coup la spécification détaillée d’un produit fini satisfaisant pour tous ;
  • La nécessité d’apporter régulièrement de nouvelles fonctionnalités : La collecte des « feed-back » clients et l’adaptation des fonctionnalités sont clés ;
  • Un besoin de garantir en permanence l’équilibre entre valeur ajoutée et coût : comme de nouveaux périmètres doivent être automatisés, il est essentiel d’en contenir le coût afin d’éviter une explosion non maîtrisée des dépenses informatiques ;

Des besoins plus étendus porteurs d’enjeux de coordination

Chaque équipe agile peut au départ disposer d’un bon degré d’autonomie, les interactions avec les autres initiatives de transformation restant limitées. Les règles de gouvernance qui sont intégrées dans ces méthodes peuvent s’appliquer localement sans trop de difficulté dans des équipes restreintes de 5 à 9 personnes, avec une articulation légère avec la gouvernance plus globale du SI.

Mais aujourd’hui, le champ investi par ces méthodes s’est élargi, on parle de « mode produit » ou « d’agilité à l’échelle » pour gérer des programmes de transformation mobilisant chacun jusqu’à 150 personnes. Des méthodes comme SAFe, mais aussi Scrum@scaleSpotify ou LeSS, proposent un modèle permettant la gestion de la transformation de toute l’entreprise. Quels changements fondamentaux cela implique-t-il pour une entreprise appliquant les pratiques traditionnelles de gouvernance du SI ?

Déployer les méthodes agiles « à l’échelle » suppose un changement de gouvernance

Un référentiel méthodologique mature pour guider le passage de l’agilité à l’échelle

La gouvernance à mettre en œuvre pour pratiquer l’agilité à l’échelle est largement décrite dans différentes méthodes telles que SAFe, qui prévoient par ailleurs une progressivité dans la mise en œuvre qui peut se faire par étape (un « train » d’abord, puis un programme, puis un ensemble de programmes, et enfin un portefeuille d’initiatives pour toute l’entreprise). L’expérience montre qu’il s’agit d’un processus long (3 à 5 ans minimum), et que rares sont les entreprises qui déploient ces approches sur la totalité de leurs activités.

Le modèle décrit s’appuie sur :

  • La mise en place d’un ensemble de rôles et de comités qui assurent la coordination de plusieurs équipes agiles et répliquent sur des ensembles plus agrégés le fonctionnement d’une équipe agile. Ainsi, le « Product Manager » coordonne un ensemble de « Product Owner », et la réunion de « Release Planning » reprend les principes de fonctionnement d’une réunion de « Sprint Planning » pour tous les sprints constituant une Release. La gestion du « backlog » est aussi décomposée en différents niveaux (Exemple : User Story / Feature / Epic) qui permettent de modéliser la façon dont les fonctionnalités se regroupent pour constituer les chaînes de valeur permettant la délivrance des produits ou services ;
  • Des équipes transverses assurant à la fois un rôle de support vis-à-vis des équipes agiles, et de gardiens d’éléments de cohérence transverse. Il s’agit essentiellement des équipes d’architectes, des équipes systèmes, et de celles assurant la qualité et le support méthodologique ainsi que l’ensemble des communautés de pratiques ;
  • Un processus de décision sur les orientations et priorités, comme dans tout système de gouvernance : la particularité de l’agilité à l’échelle est qu’elle nécessite à la fois participation (tous les acteurs contribuent au processus de décision à tel point qu’on leur demande de voter à la fin du processus), et synchronisation (les décisions sont prises à périodicité fixe, en général de façon trimestrielle, en même temps pour toutes les équipes et tous les périmètres).


Un point essentiel pour réussir la mise en place d’une gouvernance en agilité à l’échelle sur un sous-ensemble de l’entreprise est de décrire des périmètres fonctionnels à mettre en œuvre et de les répartir entre les équipes en veillant à :

  • Minimiser la charge de coordination entre les équipes, et donc les liens et dépendances de fonctionnalités ;
  • Faire en sorte que chaque équipe puisse délivrer de façon autonome des éléments de valeur tangibles (pour comprendre les conditions de l’efficacité des équipes, découvrir les approches Team Topologies) dans le cadre d’un sprint.

La nécessaire hybridation des méthodes dans les grandes organisations traditionnelles

En dehors des startups et des entreprises à majeure technologique, peu d’entreprises ont aujourd’hui déployé les méthodes agiles sur la totalité du SI de l’Entreprise. Par contre, la plupart des entreprises ont besoin de pratiquer l’agilité sur des périmètres de plus en plus larges et stratégiques (pour en savoir plus sur le lien entre agilité à l’échelle et performance, nous vous invitons à lire Accelerate).

Elles doivent donc toutes développer des modèles de gouvernance permettant d’articuler des transformations et une gestion mobilisant des technologies variées, mais aussi des méthodes et des rythmes différents. Cela nécessite :

  • D’articuler entre elles des transformations réalisées selon différentes approches (agile, cycle en V, autres) grâce à une gestion dynamique d’un portefeuille d’initiatives au niveau de l’entreprise dans son ensemble ;
  • De coordonner des besoins d’évolutions fonctionnelles avec des exigences de maintien en conditions opérationnelles du SI (corrections d’incidents, sécurité du SI, adéquation du niveau de service, gestion de la dette technique etc …).

Faire cohabiter les différentes méthodes dans une gouvernance SI rénovée

Pour une entreprise qui fait cohabiter l’agilité à l’échelle avec d’autres méthodes (cas le plus répandu, comme phase de transition ou état stable final), un dispositif minimum commun doit être mis en place pour garantir une cohérence d’ensemble. Ce dispositif ne doit pas empêcher un fonctionnement efficace des méthodes agiles.

Une nouvelle gouvernance SI autour de trois piliers fondamentaux et d’un principe d’unification Build/Run

Les 3 piliers de gouvernance qui doivent être pilotés au niveau de l’Entreprise dans son ensemble et rester communs à toutes les pratiques méthodologiques sont :

  • Le design de la transformation qui consiste à définir et à partager une vision commune des cibles futures : cet élément constitue un ciment puissant et permet une coordination par la coopération des équipes autour d’objectifs communs qui font sens, et de nombreux outils d’intelligence collective permettent de faciliter la co-construction de la vision cible : Business Model CanvasMom TestJobs-To-be-doneImpact MapEvent StormingDomain Storytelling …
  • Le pilotage de l’alignement stratégique par une allocation de moyens par chaîne de valeur/produit et non uniquement par projet : il s’agit de renforcer le pilotage par la valeur, en fixant des objectifs ambitieux et peu nombreux (utilisation d’approches de type OKR), en mesurant de façon régulière le rapport coût/valeur des initiatives de transformation (méthode « Lean Portfolio Management »), dans une approche large de la valeur (pas seulement financière) ;
  • Le pilotage global de la capacité à faire, qui suppose de gérer de façon spécifique et dans la durée l’ensemble des ressources internes et externes : cette gestion doit s’installer et s’organiser à l’échelle de l’entreprise pour permettre sa résilience globale.


Enfin, le principe de continuité « Build/Run » : dernier élément de notre gouvernance SI « New look », il est nécessaire de ne pas réduire la gouvernance à la gestion d’un portefeuille d’initiatives métiers, et de considérer le SI aussi dans son volet « Run », avec l’exigence d’assurer un service de qualité au quotidien, de garantir la sécurité et la maintenabilité des outils informatiques.

En matière de « Run » aussi, il s’agit aujourd’hui d’être agile. Le champ d’utilisation du SI s’élargissant aux clients et autres tiers externes à l’entreprise, les exigences de niveau de service sont celles de ces nouveaux utilisateurs (les clients par exemple utilisent le SI le soir et le week-end). Ces nouvelles exigences s’imposent aux équipes projet au moment du développement, supposent une bonne maîtrise des processus de mise en production pour éviter de dégrader le fonctionnement, et une forte réactivité en cas d’incident.

La séparation entre le développement et la production n’est plus d’actualité, et les exigences liées au « Run » doivent être mises au même niveau que les fonctionnalités métiers dans les processus de gestion de priorités. Les nouvelles approches de gouvernance doivent donc intégrer cette dimension « Run » non pas de façon séparée, mais plutôt de façon intégrée dans tous les processus de décision.

Une gouvernance qui conduit à revoir les rôles respectifs des métiers et de la DSI

Nous l’avons évoqué, la gouvernance SI dans un contexte d’agilité à l’échelle repose fortement sur les métiers qui prennent en charge des rôles clés : rôle de « Product Owner « dans les équipes et rôle de « Epic Owner » ou de « Product Manager » en transverse.

Mais cela n’est pas suffisant. Le passage d’un mode de priorisation basé sur des budgets projet à échéance à une priorisation d’initiatives stratégiques qui sont déclinées opérationnellement avec l’intelligence collective des équipes représente un défi de gouvernance. En effet les directions doivent déléguer un périmètre large de responsabilité aux rôles mentionnés précédemment, sans pour autant renoncer à en maîtriser l’impact plus global sur leur périmètre métier. Cela doit permettre de réconcilier une vision stratégique qui se concentre sur les enjeux majeurs de la société et une vision opérationnelle avec une connaissance très fine des attentes des utilisateurs finaux. Cela suppose également une implication forte dans la composante technologique associée aux évolutions métiers, et dans le pilotage des transformations. Ce mouvement est en marche, mais beaucoup reste encore à faire pour engager encore plus les métiers dans le pilotage des transformations apportées par les technologies.

La Direction du Système d’Information a été longtemps considérée comme seule responsable de l’ensemble du Système d’Information, tout en subissant des contournements pour cause de manque d’agilité (ce qu’on appelle le « shadow IT »). En réalité, le SI ne peut se gérer et évoluer qu’avec la participation de toutes les directions de l’entreprise, et la DSI ne peut en assumer seule la responsabilité ultime. Pour autant, son rôle est déterminant pour garantir une cohérence d’ensemble et une efficacité globale de la gestion du SI comme un tout. Il convient donc de redéfinir son rôle dans une gouvernance du SI rénovée.

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