Toujours plus participatifs et horizontaux, les modèles de gouvernance de l’entreprise évoluent avec leur temps. À l’heure de la crise climatique, les organisations ont tout à gagner à inclure leur écosystème dans la construction de leur stratégie.
Quels modèles de gouvernance d'entreprise ?
Sociocratie, holacratie, do-ocratie… Les modes de décision collective aplatissant les hiérarchies font peu à peu leur chemin dans le monde de l’entreprise, bien décidés à recréer du sens et de la cohésion à l’heure où seuls 6% des salariés français se disent engagés au travail. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque à en croire le baromètre BVA-Bluenov, puisqu’ils seraient 90 % à souhaiter participer davantage à la construction de la stratégie, et seuls 25 % à se dire satisfaits de l’attention portée à leur opinion.
Utopiste ? Pas vraiment, quand on sait que certains de ces modèles, à l’image de l’entreprise libérée popularisée en France par Isaac Getz et Brian M. Carney dans Liberté & Cie, Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises (2013), ont déjà fait leurs preuves auprès de structures comme Michelin, W.L. Gore (Gore-Tex) ou encore le ministère de la Sécurité sociale belge. Le principe : des salariés totalement libres et responsables dans les actions qu’ils jugent bonnes d’entreprendre (et non leur patron !).
Depuis quelques années, c’est au tour des shadow comex de faire des émules. Une poignée de grands groupes, d’AccorHotels à Engie en passant par la SNCF et Havas, mise sur ces comités exécutifs de l’ombre réservés aux juniors, invités à porter un regard critique sur les orientations prises par le comité principal.
Vices et vertus du « self-management » dans la gouvernance d'entreprise
Reste que malgré leur attrait sur le papier, ces modes de gouvernance dits inclusifs et participatifs n’ont rien d’évident en pratique. La preuve avec l’expérience mitigée de Zappos, filiale du groupe Amazon, dont le passage à la gouvernance horizontale où la prise prise de décision est répartie au sein de « cercles » autonomes (holacratie) en 2014 a entraîné une hausse brutale du turnover, atteignant 14 % quelques semaines après son introduction, et 30 % l’année suivante.
Il y a une conséquence de cette organisation que l’entreprise n’a pas anticipée : la confusion, analyse. Le ‘self-management’ a provoqué beaucoup de désordre, au point que des salariés ont déclaré aux journalistes qu’ils n’étaient plus certains de la façon d’opérer pour faire du bon travail
source : The Atlantic Tweet
Pourquoi aplatir la hiérarchie comme gouvernance d'entreprise peut être problématique ?
Sans compter le risque de burn-out : « aplatir la hiérarchie peut être le nid d’ambiguïtés liées au poste : en augmentant la responsabilité des collaborateurs, on leur demande aussi beaucoup plus de travail et d’investissement psychique sans rémunération en contrepartie », fait valoir Adélaïde de Lastic, chercheuse et consultante sur des démarches de RSE.
Quête de sens et communication empathique
La crise du Covid a encore accéléré cette tendance vers des modes de management horizontaux faisant la part belle à l’autonomie des salariés. « S’être rendu compte que les personnels ont moins besoin de contrôle qu’on ne le croyait permet d’envisager une organisation plus plate », veut croire Thierry Weil, coauteur en 2020 de l’enquête « Au-delà de l’entreprise libérée », dans une interview aux Échos.
Ce à quoi il faut ajouter, au sein des nouvelles générations, une quête de sens et d’utilité sociale toujours plus affirmée. Selon une étude de l’EDHEC NewGen Talent Centre en 2021, « l’impact de l’entreprise sur son environnement et sa capacité à répondre aux problématiques de diversité et d’inclusion » sont même devenus un critère de motivation différenciant pour ces dernières. Dans un monde incertain, où trois quarts des 16-25 ans dans dix pays jugent le futur « effrayant », la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans les activités de l’entreprise ou encore la définition de valeurs fortes auxquelles se raccrocher est plus que jamais clé – à condition, bien sûr, de faire suivre les bonnes intentions d’effets. Consacrant le pouvoir du « faire », la recette de la do-ocratie, née dans l’univers des fablabs et autres tiers-lieux, nous met sur la piste : « ce sont ceux qui décident qui font, et ce sont ceux qui font qui décident », résume Cédric Ringenbach, président et fondateur de la Fresque du Climat dans l’Info durable.
Sans oublier l’ingrédient vital dans toute organisation horizontale : la confiance. Chez Makesense, où l’on vante l’adoption réussie du modèle de l’entreprise libérée, elle est le fruit d’un « travail collectif sur les valeurs et la raison d’être ». Les salariés ont également été formés à la « communication empathique pour que chacun puisse développer ses capacités d’écoute de soi-même et des autres et être ouvert à l’autre sans présupposés ni préjugés ». Un mode de fonctionnement qui intègre sans peine les valeurs dites « féminines » (telles qu’elles sont définies de manière stéréotypée par l’inconscient collectif) : écoute, bienveillance, intelligence émotionnelle…
Demain, tous co-décisionnaires ?
Nul doute que les modes de gouvernance participative sauront encore évoluer dans le sens d’une meilleure répartition des rôles. Le futur est aux « co » : co-construction, co-responsabilités… À l’heure du numérique, les stratégies se co-élaborent par écrans interposés en réunissant des audiences toujours plus vastes et hybrides autour de valeurs fortes.
Dès 2019, Decathlon a ainsi impliqué l’ensemble de son écosystème pour imaginer sa vision à l’horizon 2030 via une plateforme collaborative : passionnés de sports, clients, collaborateurs, partenaires, fournisseurs, responsables associatifs… tous réunis dans un vaste exercice d’intelligence collective dans lequel l’engagement écologique et social a occupé une place de choix. En 5 semaines, pas moins de 30 défis d’avenir et 160 pistes de solutions ont été identifiés.
L’élargissement de la gouvernance participative serait également synonyme d’une plus grande résilience.
Une logique écosystémique qui place l’entreprise dans une culture de l’apprentissage continu : s’enrichissant au contact de tous les acteurs qui gravitent autour d’elle, elle sait remettre en question ses certitudes et s’adapter. Et justement, pour les organisations libérées des structures organisationnelles trop rigides, l’élargissement de la gouvernance participative serait également synonyme d’une plus grande résilience. « En construisant des organisations plus décentralisées, auto-organisées et organiques, écrit Pablo Servigne dans Au-delà du vote “démocratique”: Les nouveaux modes de gouvernance (2011), [l’holacratie] permet au groupe de remettre en permanence en question sa “raison d’être”, comme un organisme qui avance dans un monde inconnu, avec plus de souplesse, en s’adaptant ».
Un mode de gouvernance véritablement écologique en somme, mais aussi une nécessité pour les entreprises souhaitant s’engager avec sincérité dans une démarche à impact positif. Car c’est bien par la transformation du leadership, la redéfinition de sa raison d’être et la co-construction qu’elles pourront se transformer en profondeur, en évitant tous les écueils du greenwashing.
Stratégie
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